Le paradoxe de l’efficacité

Dans la vie, quand on travaille dur, on atteint ses objectifs.

Je suis certain que plusieurs ont entendu cette phrase à maintes reprises. C’est pourquoi il est de bonne pratique de s’assurer dans notre entreprise que tous les employés travaillent dur. Après tout, ils ne sont pas payés pour ne rien faire, n’est-ce pas?

Vous devriez donc vous assurer de maximiser leur occupation. Un employé qui est disponible est un employé qui ne travaille pas.

Chaque employé devrait travailler sur plusieurs choses à la fois. Comme ça, quand un item bloque, il peut faire autre chose sans attendre.

On devrait utiliser seulement des spécialistes compétents pour accomplir les tâches afin de réduire les coûts.

Il devrait y avoir une pile de travail à faire sur chaque bureau afin que personne ne soit en attente de travail.

Les objectifs individuels devraient être liés au fait d’être constamment en train de travailler. Le salaire et les bonus devraient être proportionnels à la quantité de travail accompli.

Est-ce que tout cela fait du sens pour vous?

Si vous n’avez pas de clients, c’est probablement la bonne approche.

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Ici réside le paradoxe de l’efficacité. Malheureusement, à favoriser l’efficacité de l’utilisation de vos individus, vous heurtez de façon considérable votre prestation de service et par la même occasion, la satisfaction de vos clients.

Qui subit le coût de vos délais?

Si un client a besoin de vos services, c’est qu’il veut combler un besoin. Chaque jour où le client ne reçoit pas son service est donc perçu comme une perte. Un client fait normalement affaire avec vous pour l’une des raisons suivantes:

  • Augmenter ses revenus;
  • Protéger ses revenus;
  • Éviter des coûts;
  • Réduire les coûts.

Il est donc impératif pour lui de recevoir son service dans un délai optimal. De plus, à chaque prestation de service, il vous paie. Plus vite il est servi, plus vite il est prêt à demander un nouveau service.

Qu’arrive-t-il à vos délais lorsque vous occupez votre personnel au maximum? La science nous démontre qu’ils augmentent.

La loi de Little

Lorsque vous commencez du travail, peu importe le niveau d’abstraction (initiative, projet, programme, fonctionnalité, tâche, correction de bogue, vente, recrutement, etc.), il y a un risque que ce travail soit bloqué pour des raisons aussi multiples que diverses.

Si votre focus est d’occuper vos employés, vous devez alors débuter un autre item en attendant que le premier débloque. Ce nouvel item peut lui aussi s’arrêter en cours de route pour un délai plus ou moins long. On recommence alors la boucle et on augmente le nombre d’items en cours dans notre processus de prestation de service.

La loi de Little est une loi mathématique qui expose la relation entre le nombre d’items en cours, le débit de livraison et le délai d’attente client. Elle démontre qu’il existe seulement deux façons de réduire le délai:

  1. Augmenter la capacité (embaucher);
  2. Réduire le nombre d’items en cours.

Le danger, si vous augmentez la capacité de votre système, c’est que si vos politiques internes sont orientées en fonction d’occuper au maximum cette nouvelle capacité, vous devrez démarrer de nouveaux items. Votre performance envers vos clients n’en sera alors aucunement améliorée.

En passant, cette loi est connue depuis 60 ans, donc rien de nouveau ici.

Le gaspillage

Si votre focus n’est pas votre client, le gaspillage provient probablement du temps passé par un employé à ne rien faire ou à être ralenti par son manque de compétence/spécialisation.

Comme ces spécialistes coûtent plus cher, il est important d’optimiser leur utilisation. Mais qu’arrive-t-il lorsqu’ils sont très occupés? Ils deviennent indisponibles et créent des bouchons.

C’est aussi cette façon de penser qui crée un mode de fonctionnement en silo ou en île. Optimiser l’île devient alors un réflexe. Le focus des insulaires se retourne vers l’intérieur et l’équipe finit par perdre l’objectif du service client.

Steph1

Le gestionnaire ci-haut est très heureux. Ses spécialistes sont pleinement occupés. Ils ont tous beaucoup de travail. Si quelqu’un lui mentionne qu’il a un problème, il lui répond probablement qu’il a un heureux problème. Il veut embaucher plus de spécialistes aux endroits où le travail s’empile.

Par contre, si on déplace le focus sur le client, on a un tout autre portrait de la même situation.

Steph2

Le gestionnaire qui a un focus client n’a pas un heureux problème, il a un très gros problème.

En fixant des objectifs de réduction du gaspillage systémique (délais d’attente et délai global), il permet à son personnel de s’auto-organiser.

Il vise aussi à l’élimination des silos de spécialité afin de réduire les bouchons.

Il permet aussi à son personnel d’être disponible (voir la loi de Little ci-haut).

Il ne régit pas comment l’équipe s’organise autour du travail.

Il crée un écosystème performant et efficace.

Steph3

Le débit de livraison et les risques

Ceux qui redoutent de faire le saut vers l’efficacité du flux ont peur de réduire le débit de livraison. La logique voudrait qu’à accepter moins de travail dans un système, on réduit le débit de sortie non?

NON!

Dans le pire des cas (mettons l’emphase sur le mot pire), le débit de sortie sera le même.

Dans la très forte majorité des cas, l’expérience démontre une hausse du débit et moins de variabilité dans les délais de livraison.

La raison est bien simple, plus le temps est réduit plus les risques provenant de sources externes et incontrôlables sont diminués.

Un exemple théorique

Il y a eu au Québec (ou proche du Québec) 5 tremblements de terre dans le dernier mois (https://earthquaketrack.com/p/canada/quebec/recent).

Si un tremblement de terre est un événement qui cause du gaspillage dans mon processus de livraison (de l’attente, du travail additionnel, des redémarrages, etc.), j’aurais tout avantage à réduire le délai où mes items sont en cours.

Si je livre 10 items en 2 mois et qu’ils étaient tous en même temps dans mon processus, ils ont un délai de livraison moyen de 2 mois et ont tous subi en moyenne 10 tremblements de terre.

10 tremblements de terre X 10 items = 100 événements de gaspillage

Si je réduis le nombre d’items en cours à 2, selon la Loi de Little, mon délai moyen réduira proportionnellement (0.5 mois) et chaque item aura subi en moyenne 2.5 tremblement de terre.

2.5 tremblements de terre X 10 items = 25 événements de gaspillage

Dans cet exemple, on réduit donc théoriquement le gaspillage de 75%. Tout ce temps gagné peut servir à produire plus d’items, plus de qualité sur les items en cours, plus de temps pour de l’amélioration continue. Le débit pourra donc facilement augmenter.

Peut-être que votre situation n’exige pas que l’on tienne compte des tremblements de terre. Par contre, pouvez-vous dire que vous êtes immunisés contre:

  • La maladie;
  • Les absences liés à d’autres motifs (conciliation travail-famille);
  • Les clients qui modifient les requis en cours de route;
  • Les clients qui désirent annuler leur commande (ou qui font faillite);
  • Les vacances (les vôtres et celles de vos clients);
  • Les changements de lois et de normes légales;
  • Les changements de versions des logiciels utilisés;
  • Les bris d’équipement;

Ces exemples constituent seulement un court échantillon des risques que vous pourriez réduire simplement en limitant le nombre d’items en cours dans votre processus.

On a toujours le choix

Comme dans la vie on a toujours le choix, vous avez maintenant toute l’information nécessaire en votre possession pour faire le vôtre. Choisissez-vous de:

  • Maximiser l’occupation;
  • Créer des silos de compétences;

Ou de:

  • Maximiser le débit;
  • Réduire les délais;
  • Être prévisible et prédictible;
  • Réduire les risques et leurs impacts;
  • Augmenter la fréquence des livraisons;
  • Être disponible pour réagir aux imprévus;
  • Laisser la place à l’amélioration continue;
  • Ne pas créer de surcharge sur vos employés;
  • Générer plus de valeur que de gaspillage;
  • Faire plaisir à vos clients;

Quel est votre focus?

3 réflexions sur “Le paradoxe de l’efficacité

  1. […] aux équipes et une abondance de contraintes entourant le choix du travail par les employés. Ce focus sur l’efficacité opérationnelle plutôt que sur l’efficacité du flux de valeur provoque un désengagement des équipes envers l’amélioration continue et la qualité de la […]

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  2. […] on crée des délais. Comme je l’ai déjà écrit dans un article sur le sujet, une division du travail basée sur la spécialisation autour d’une compétence (ou […]

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  3. […] Si vous avez besoin d’un petit rafraîchissement du pourquoi il faudrait travailler sur moins de choses à la fois, j’ai déjà écrit un petit truc là-dessus. […]

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